l'Archipel Potentiel, Philippe Barbereau.
Extrait lu par l'auteur



Extrait de l'Archipel Potentiel, Philippe BARBEREAU. Tous droits réservés.

Vestige d’une imagination grisonnante depuis longtemps en ruine, le sommeil de monsieur Le Goff était creux. Tout se passait comme si chaque recoin de son esprit était peu à peu devenu trop lisse, ou trop net, pour que l’angoisse, le désir ou la frustration ne puissent venir s’y cristalliser. Cette fois-ci cependant, un rêve terrifiant parvint à s’y introduire.

Monsieur le Goff se réveillait en sursaut, ligoté par la ceinture à son siège, encastré dans le corps clignotant de l’avion qui chutait librement au-dessus de l’océan. Débarrassé de son cockpit, vraisemblablement arraché par une violente turbulence et qui chutait lui aussi en aval, l’engin ressemblait à tel supplicié qui, fraîchement décapité par les soins du bourreau, continue à agiter inutilement les lèvres d’un côté, les mains de l’autre, comme pour exprimer d’inintelligibles harangues, d’inaudibles volontés post mortem. L’avion s’effritait dans les airs, comme un gâteau sec que l’on aurait trempé dans le thé brûlant et qui se serait effondré avant que l’on ait le temps de le porter à la bouche…

Lorsqu’il se réveilla, l’avion avait déjà atterri et une jeune femme à ses côtés était en train de quitter son siège. Tout semblait parfaitement intact autour de lui, et il fut assailli par la réminiscence de l’horreur de ce rêve qui se superposait si mal à la quiétude qui l’environnait. En le voyant émerger avec agitation d’un si long sommeil, la jeune femme lui adressa un sourire plein de tendresse que, quelques années plus tôt, il aurait volontiers interprété comme une invitation. Elle portait un tailleur foncé, accompagné d’un chemisier blanc mettant en valeur une poitrine qui, vue d’ici, semblait ferme et délicate. Sa bouche finement dessinée, ainsi que ses yeux verts, étaient proprement angéliques. Ils ne semblaient pouvoir former ensemble d’autre constellation que le sourire. Il se contenta de la suivre innocemment dans l’aérogare pour récupérer ses bagages. On pouvait toujours espérer échanger quelques banalités sur New York ou Paris durant l’attente.